Edito de votre programme cinéma du 16 octobre au 12 novembre 2019
JOKER OU UN MONDE PLUS GRAND :
DE QUEL CINÉMA AVONS NOUS BESOIN?Bien entendu, à cette question, cinéphiles et cinéphages pourraient bien répondre : « en voilà une drôle de question. Pourquoi choisir ? Si on le peut, voyons les deux films, il y a de la place pour tous les cinémas, film d’action (Joker) et film voyage (Un monde plus grand). » Précisément, notre propos ici n’est pas de « forcer la main» (et nous proposons à l’Imaginaire les deux films) mais d’observer ce que disent ces oeuvres de nos sociétés aujourd’hui.
Joker dans la mythologie de la bande dessinée Batman, incarne la figure de l’ennemi, une sorte d’ange noir tombé du ciel, soit le mal personnifié. Todd Philipps dans la nouvelle version cinématographique qu’il propose en images réelles, peint Joker en être profondément malade, artiste raté, clown tragique mais surtout fou assoiffé de vengeance. Pas de rédemption possible pour Joker. Le réalisateur fait ici le choix, chacun jugera, de n’offrir aucune voie de rédemption à Joker. On n’est malheureusement pas chez Dostoïevski et Joker, victime du sort dès sa naissance, demeurera une victime tout au long de sa vie, jusqu’à transformer et retourner l’arme symbolique braquée sur lui, en arme réelle contre les autres. Dès lors, ce film étouffant n’offre aucune lumière et ne laisse d’autre regard possible que celui de la fascination pour le mal. Et qu’on ne nous dise pas que le soulèvement des populations qui succède au crime tient de l’anarchie, la violence des foules imaginée et filmée ici ressemble bien davantage au fascisme.
Une vie plus grande, un puissant filtre de vie. Voici l’une des définitions simples du chamanisme : « pratique centrée sur la médiation entre les êtres humains et les esprits des morts, de la nature, des animaux. ». Une vie plus grande est en effet centrée sur l’histoire d’une chamane, à travers le portrait d’une jeune femme occidentale, qui, après la mort de son compagnon, décide de partir dans une tribu en Mongolie pour une mission professionnelle. Le film met en scène l’histoire vraie de Corine, reconnue par un clan de chasseurs de rennes comme « chamane » après une expérience de transe. Film « fumeux » ? En réalité pas du tout. Que l’on croie ou non au chamanisme, on est frappé par la beauté d’une oeuvre montrant un être humain capable de s’émanciper de l’emprise de la mort.
Travailler à renaître et à aider les autres à renaître plutôt que s’arrimer à un statut de victime, préférer construire une société du soin et du souci de l’autre plutôt que se complaire dans le rôle de victime/ bourreau de la société du spectacle, tel pourrait être ce qui oppose le projet d’Une vie plus grande à celui de Joker.François Derquenne
Responsable de la programmation